top of page

PORTRAITS DE SONIA -l'École nationale de la Marine marchande,

Sonia se lance dans la marine de pêche avec son propre chalutier, le Voluntas Dei, mais en semi-légalité. En effet, un décret de la loi Colbert qui date du XVIIe siècle, interdit à la gente féminine de monter à bord des navires de pêche, de commerce et de guerre. Cependant la première femme marin de France persévère, malgré de nombreux conflits avec les Affaires maritimes. Elle intègre l'École nationale de la Marine marchande, institution qui n'avait jamais eu de femmes sur ses bancs, et en sort diplômée. Sa bataille administrative contre la loi Colbert se solde par une victoire, le 28 janvier 1963. Dès lors, elle devient légalement patron de pêche.

Hélas, un matin, son patron lui annonce gêné qu’il ne peut plus l’embarquer: le Syndic a invoqué une loi datant de Colbert interdisant aux femmes de naviguer à la pêche et d’être inscrites sur les rôles d’équipage.

Celle que l’on surnomme désormais << Quat' sous d’fil >> ou << Sonia l’Ablette » pour sa petite taille et sa fragilité apparente ne se laisse pas abattre par le sort et décide alors d’acheter son propre bateau. Un ami de sa famille accepte de lui fournir l’argent, elle le remboursera marée après marée. Elle trouve un Vieux rafiot baptisé le Voluntas-Dei. Mais, bien qu’armateur, le règlement de la Marine marchande lui interdit la délivrance du fascicule d’inscrit maritime parce qu’elle est une femme. Propriétaire de son bateau, elle doit embaucher un patron
responsable, et sera considérée comme sa passagère! Cette situation la révolte, mais, si elle s’en accommode temporairement, elle entame une lutte permanente contre l'administration, arrachant dérogation sur dérogation, Après huit mois de harcèlement, elle obtient son livret professionnel d'aide de pêche, troisième catégorie >>. Elle peut désormais travailler et être payée en tant que matelot, mais n’a pas le droit de tenir seule la barre.

En 1957, la maladie la cloue pendant six mois sur un lit d’hôpital. Elle reprend ses notes, les complète et donne ainsi naissance à un livre, la Houle. Elle choisit un éditeur au hasard: Julliard. Par retour du courrier, celui-ci lui envoie un contrat. Non seulement la Houle est édité
(en 1959) mais il remporte le prix Maryse Bastié, décerné chaque année à une femme écrivain qui réussit à s’imposer dans un métier dangereux et y trouve sa source dïnspiration. Son livre remporte un très grand succès, avec des traductions dans plusieurs langues, elle donne de nombreuses interviews, se trouve souvent invitée à participer à des manifestations littéraires, des cocktails, des soirées en compagnie de Minou Drouet et de Françoise Sagan les deux autres stars du stylo de cette fin des années 50. Après la franche hostilité des Royannais, cette
reconnaissance la touche, et ce monde brillant d’intellectuels Parisiens la fascine un peu. Julliard lui signe un contrat pour cinq romans. Elle écrit La fille du vent, dans la droite ligne de la Houle, mais l’éditeur lui demande de corser son roman avec une histoire sentimentale. Elle refuse tout net et rompt son contrat. Adieu donc le  Tout-Paris  littéraire et l'écriture de romans, retour à Royan.

Elle décide alors de s’inscrire à l’École de navigation de La Rochelle pour apprendre la mécanique marine. Le vieux et respectable directeur s’insurge: < Si cette femme entre dans mon école, je m’en vais >>. Sonia est acceptée après être intervenue auprès du Ministère concerné
(être célèbre, ça aide), et, quelques semaines plus tard, le directeur donne sa démission.

 

À la fin de l’année 1961, elle obtient un excellent classement, et un diplôme, le << brevet de mécanicien a la pêche sixième catégorie >>. C’est le premier brevet de ce genre obtenu par une femme. Une Victoire, mais la loi lui interdit toujours de tenir la barre. Son combat continue, et c’est alors que suite à un sabotage le Voluntas-Dei coule dans le port de Royan. Loin de se laisser abattre, elle participe à l’émission Vous êtes formidables! de Pierre Bellemare sur Europe N° l, pour trouver l’argent d’un nouveau bateau. Il s’appelle Rodolphe- Maryse. Avec lui elle a le loisir d’approfondir ses connaissances mécaniques, tant ses pannes de moteur sont fréquentes. Elle fera même un procès pour malfaçon
à son constructeur, Berliet. Quand elle lâche la clef de douze, elle poursuit son combat pour l’égalité complète de ses droits avec ceux des
hommes. Elle écrit à de nombreux parlementaires jusqu’à ce que monsieur André Lacaze, alors député de Cozes, décide de la soutenir. Il frappe aux bonnes portes et sait se montrer persuasif, car le 28 janvier 1963, elle voit enfin sa victoire se concrétiser. Un décret signé par le secrétaire général de la Marine Marchande libère les femmes des ordonnances datant de Colbert. À compter de cette date, le terme d’ inscrit maritime est remplacé par celui de marin, autorisant les femmes à entrer dans toutes les écoles de la mer, comme à Santé Navale.

Egale aux hommes, elles obtiennent le droit à un salaire, sans aucun quota discriminatoire. Sonia ne perd pas une seconde et passe son certificat de capacité. Pour fêter sa victoire, elle se fait construire un grand chalutier rouge et blanc, le Tantae, dont elle a réalisé les plans novateurs avec Amédée Delouteau (son capitaine depuis avril 1961) et vit enfin pleinement sa passion pour la mer.
Emportée par son élan, elle achète une pêcherie au Verdon et crée une école féminine de mécanique marine . Cette dernière ne durera pas, le nombre de volontaire étant limité. En 1992 elle se marie avec Amédée Delouteau. Ses relations avec cet homme de caractère avaient été longtemps professionnelles. Elle l’avait engagé en tant que patron, et il entendait bien assumer intégralement sa charge. Un jour de désaccord, il lui avait d’ailleurs signifié qu’il entendait être seul maître à bord. Reconnaissant cette vérité de la mer, elle ne lui en avait pas tenu rigueur. Bien au contraire, car un jour de relâche à Port Bloc au Verdon S/M, elle lui avait montré ses talents de musicienne et de chanteuse sur le piano délaissé d’un bar du port. Comment aurait-il pu résister? Dès lors, ils ne se quittèrent plus, jusqu’à la mort — intervenue en février 1999 — de celle qui s’appela désormais Sonia de Borodaewsky-Delouteau.

*|nscrit maritime: Marin enregistré auprès des Affaires Maritimes. Avant la suppression du service national, i’inscrit maritime était appelé dans la marine nationale.

“Tantae, baptisé d'après l'expression latine « tantae molis erat romanam condere gentem! » (Tant il était
difficile de fonder |’Empire romain !), d'une longueur hors tout de 15 m, largeur de 4,80 m, tirant d’eau

de 2 m, d’une jauge de 25 tonneaux nets, un moteur de 220 CV et 5000 litres de gasoil.
 

bottom of page